TÊTU est allé à la rencontres des fétichistes, et interroge ces pratiques, trop souvent - et à tort - mal considérées. Mais pour explorer cet aspect de sa sexualité, il faut un point de départ. Des hommes nous racontent comment ils ont découvert leur fétish. Il y a une infinité de fétiches et presque autant de fétichistes. Avec pour chacun de ces hommes une façon de découvrir leur sexualité où la matière est devenue déterminante pour leur excitation. Selon les âges et les générations, on n’entre pas dans le fétichisme de la même manière. A cinquante ans on a connu plus souvent la solitude, à 20 ans les applications. Le cuir se porte en public plus facilement que la cagoule. On peut le découvrir en tombant amoureux ou quitter un homme pour le vivre pleinement. Fabien, un divorce pour être bien dans ses baskets. Le jeune quadragénaire se souvient du corps des gymnastes de son âge quand il était au collège. L’odeur des vestiaires l’excitait déjà. “Je trouvais que c’était plus sexy un mec en shorts de foot, en jogging, en baskets, en chaussettes.” Des souvenirs qui remontent à la 6ème, quand il était en sport-études. A 43 ans, Fabien se révélait déjà ce qu’on appelle aujourd’hui un kiffeur. Le terme désigne les fétichistes des vêtements et baskets de sport, et bien souvent de leurs odeurs, qui exhalent les ébats. Pour lui, l’érotisme est une lame de fond qui traverse le fétichisme. “Je suis aussi naturiste, j’ai été élevé là-dedans. Donc pour moi au départ, un corps nu n’est pas sexuel. Dès qu’il est un petit peu recouvert par un slip, un maillot de bain, un short qui laisse deviner et apparaître, qui cache mais qui révèle en même temps, ça fait marcher la machine à fantasmes”. Submergé par les émotions et l’angoisse, dépassé par ses désirs dès ses douze ans, il a finalement préféré quitter le sport-études. Il lui faudra attendre plus de dix ans pour vivre consciemment sa première relation sexuelle autour du vêtement de sport. “Avec un amant, le jeu c’était de se voir en slip, en jogging, en maillot de bain. D’ailleurs à cette époque-là j’ai fait mes premières photos en maillot de bain. A l’époque, c’était encore plus de niche que maintenant.” Le sport et ses vêtements ne quitteront plus la vie sexuelle de Fabien. Il faudra encore attendre dix années supplémentaires pour mettre là-dessus le terme de fétichiste. Apparu plus clairement après ce qu’il appelle son “divorce”, une séparation après une longue relation avec un homme auprès duquel il ne pouvait pas vivre pleinement son fétichisme : “Quand j’ai divorcé avec mon mec, j’ai eu l’envie débordante d’assumer cette envie là, de la vivre totalement. D’ailleurs c’est ce que j’ai fait : 8 mois plus tard, je me suis trouvé un mec avec qui ce qu’on a vécu en l’espace de 6 mois m’a plus fait vibrer sexuellement qu'en sept ans de vie commune avec mon ex.” A LIRE AUSSI : Non, le puppy play n’est pas du tout ce que vous croyez Laurent, le cuir comme seconde peau. A 16 ans, le perfecto en cuir de Laurent lui collait déjà à la peau. “Je suis musicien, donc ça a commencé par la musique, le rock.” A cet âge, il avait encore des relations hétérosexuelles. Dans le milieu de la musique, il découvre plus tard les hommes : “Je me suis fait draguer par un mec, j'ai trouvé ça très excitant. Quand je suis passé à l’acte, je ne me suis plus considéré ni comme hétéro ni comme bi.” Son cuir toujours plaqué sur le dos se chargera de lui révéler le reste, et peut-être de provoquer qui sait, son fétichisme. Dans “les lieux extérieurs, les lieux de drague de l’époque, le cuir faisait la sélection. Ça joue sur ton aspect, ce que tu dégages physiquement. Soit tu fais peur soit tu attires, ça sélectionne.” C’est bien les amateurs de cuir qu’il attirait. “Est-ce que c’est le cuir qui m’excitait de le porter, ou est-ce que j’étais excité de le porter parce que ça excitait d’autres personnes qui me correspondaient ?”, se questionne encore le désormais quinquagénaire. Cette matière lui a toujours donné une image charismatique selon lui, qui exacerbe sa virilité. A presque trente ans, dans les années 1990, il entre au Lyon Motor Club Rhône Alpes. A Lyon, le Forum et le Motormen, lieux de rencontre fétichistes, feront partie de ses lieux de prédilection. Il fait ses rencontres là-bas et ses amitiés se structurent progressivement autour de cette matière. Il n’y avait dès lors plus de retour en arrière possible, il ne peut plus faire sans. “Du coup, maintenant sexuellement je ne baiserais pas sans cuir ou à poil parce que ce serait pour moi un grand retour en arrière, quand j’avais 16 ans.” Se disait-il déjà fétichiste il y a trente ans ? “Aujourd'hui les gamins à 17 ans, ils savent ce que c’est que le fétichisme. 30 ans en arrière, il fallait relever les manches, aller pousser des portes pour rencontrer des gens. Quand je rencontrais des gens je ne mettais pas forcément le mot “fétichisme”. Avec le recul, oui, j’ai vraiment mis le mot dessus à 30 ans” Tweak, entre chien et loup “Le puppy play c’est compliqué à définir. Pour moi c’est un jeu de rôle en soi. Sexuel ou pas sexuel, érotique ou pas érotique, ca dépend de la relation avec la personne.” La pratique consiste à se déguiser en chien, avec des masques dédiés, le tout en se parant d’habits, combinaisons ou accessoires en diverses matières : latex, cuir, néoprène, etc. Pendant des jeux de rôle, souvent entre un maître et son chien, les participants mangent dans une gamelle, jouent à la balle, ou se “font des papouilles”. Le tout agrémenté selon le moment, de rapports sexuels. Lorsqu’ils se sont rencontrés, Tweak [son nom de Puppy], 21 ans, et sont copain ont démarrée leur relation avec des rapports sexuels “classiques”. Avant que son nouvel amour ne lui parle avec obstination du Puppy Play. Quotidiennement, pendant quelques mois il lui explique en quoi tout ça consiste. Jusqu’à ce que Tweak se laisse tenter, d’abord par curiosité. “Au début, ça me faisait rigoler et puis après je me suis pris au jeu. C’est devenu mon puppy.” Les gestes d’abord hésitants ont laissé place à une connaissance fine des jeux de domination qui parsèment le puppy play. “Petit à petit j’ai commencé à acheter mes accessoires fétiche”. Ses premiers ébats dans la peau d’un chiot se faisaient en combinaison de lutteurs. Il compte bientôt s’acheter une tenue en latex. Pour lui ces matières “c’est tout doux. Malgré le fait que tu aies un vêtement sur toi, tu vois bien les formes de l’autre personne ou tes formes à toi.” En creusant un peu, Tweak confie qu’il avait rencontré le fétichisme des années plus tôt, avec une attirance pour les couches. “Au début je me demandais vraiment si j’étais normal, si j’avais pas un problème : ‘est-ce que j’ai pas un problème mental, est-ce que je suis pas complètement barge?’ Donc j’ai été voir un psy. On m’a dit que ça peut arriver à tout le monde. Avec du travail sur soi-même et de l’acceptation j’ai fini par me dire que je suis comme ça, et puis tant pis.” Des rencontres en ligne avaient en même temps fait comprendre qu’il n’était pas seul à avoir ces désirs. Il ne donnera pas son nom pour cet article : “J’aimerais éviter que mes parents tombent dessus, ils ne sont pas au courant du tout.” Jayson, de réseau en héros. Sur Facebook il y a quatre ans, son futur copain demande Jayson en ami. Le profil du dragueur est semé de photos sur lesquelles il se montre en latex. Pas de quoi faire peur au jeune homme qui connaît déjà bien le caoutchouc grâce à ses études de mode. A 24 ans, Jayson était déjà attiré par la matière, le toucher, les textiles modernes. Sa première fois avec un homme se fera avec le séducteur de ces réseaux. Le tout en latex. “Au fur à mesure que j’apprenais à le connaître, j’ai aussi appris quels étaient ses fétichismes. Il m’a initié dans le milieu fétichiste où je me suis fait des amis.” Le côté froid de la matière l’excite aussitôt. Les événements dédiés s’installent dans son quotidien : la Damage, la Paris Fetish. Aujourd'hui dit-il, “J’ai des amis dans tous les milieux : latex, cuir, sportswear, puppy.” Dans la rue ou dans les studios dans lesquels il travaille, Jayson qui a désormais 27 ans préfère les accessoires à la combinaison : pantalon, polo, débardeur en latex. Avait-il imaginé s’investir autant dans cette cause ? “Je n’ai pas eu une vie facile, je n’avais pas eu le temps de penser à ça. Ça ne m’est jamais venu à l’esprit qu’un jour j’allais devenir fétichiste.” En shooting ou en tournage, le latex ne le quitte pourtant plus. Pour faire des rencontres et laisser découvrir à d’autres ses goûts, “les réseaux sociaux jouent énormément, surtout Instagram”. Attirés par les lives et les stories, les non-initiés découvrent le fétichisme sur leur smartphone. Des inconnus viennent désormais lui parler sur les réseaux sociaux, motivés à “entrer dans le milieu”. Fifidor, dresser ses envies. Tout a vraiment commencé avec son ex-copine autour de ses vingt ans. Fifidor [nom de Pony], 32 ans bisexuel, avait acheté un Zentaï, une combinaison de lycra qui recouvre le corps. Une révélation. “Des fois des fantasmes, on les réalise et ça nous déçoit. Et là, pour le coup, le fantasme que je réalisais, c’était encore mieux que ce que j’imaginais.” Pour sa copine, ça n’était pas le cas. Après quelques essais, la tenue reste finalement au placard. Pas ses désirs. Il se souvient que “Après ma séparation j’ai mis de l’argent de côté et j’ai acheté une catsuit en latex.” Dès l’adolescence, l’esprit du jeune homme se drapait de tissus variés, dans des fantasmes nourris par les pornos fétichistes. “A l'époque, je ne me l’avouais sans doute pas, ou alors je n’avais pas le vocabulaire ou les notions.” Sa première acquisition agit comme un basculement. Il savait qu’il ne pourrait plus se satisfaire uniquement de relations vanille [relations “classiques” sans fétiche]. Sa première expérience fétichiste avec un homme démarre sur une application de rencontre dédiée aux fétichistes : “C’était il y a 6 ou 7 ans. On s’est retrouvés sur Fetlife autour du latex. Il avait envie de découvrir, là où moi j’avais déjà un peu de matériel et beaucoup d’intérêt.” Depuis, il est devenu fin connaisseur des vertus de chaque matière qu’il convoite. Le cuir pour la restriction et la contrainte. Le latex comme seconde peau, brillant et exhibé. Pour le satin, “c’est le côté doux, c’est le côté cocooning, tranquille, c’est le côté sensuel.” Il a finalement réussi à combiner ses envies dans le Pony Play, variant du Puppy Play fait de jeu de rôles avec un maître et son animal, parfois version soft du BDSM. Tenu en latex, masque, sabot, et queue ont enrichi la panoplie de l’étalon : “on est plus sur le côté fiers, paradeurs, plus dans le show et parfois moins dans le jeu.” Vincent, de fil en aiguille. Quarante ans de fétichisme, doctement étoffés. Vincent, 54 ans, se souvient que du haut de ses 15 ans, il allait “[s]’acheter du tissu en latex au marché. Je coupais un morceau, je le cousais à l’arrière, et je me baladais avec.” Des fantasmes explorés seul pendant des années, sans internet pour se rencontrer, sans marché pour s’approvisionner, sans rencontres pour se nommer. Tôt, les BD de Spiderman l’excitaient. Parmi ses apollons, on comptait catcheurs cagoulés, fantomas, “tous les grands méchants qui portaient une cagoule, qu’on pouvait voir au cinéma ou à la télé”. Depuis l’origine, il aime mettre des collants et des bas sur la tête et tout le corps. Pour ses débuts en latex, ses “premiers fournisseurs étaient des fabricants de combinaisons de spéléologie.” En solo depuis toujours ou presque, il avoue “aller dans des endroits publics de manière discrète, soit des sous-terrains, des garages, aussi dans les forêts et m’exhiber en cagoule, en combinaison”. Au point de finir au commissariat il y a quelques semaines “parce que les gens avaient peur et appelé la police.” Une surenchère qui va crescendo. Il précise toutefois que l’excitation est “purement intellectuelle” et qu’il n’exhibe rien d’autre que ses costumes. A 25 ans, il avait intégré l'association Mecs En Caoutchouc créée en 1994 dont les membres refusent la solitude et se retrouvent pour des rencontres élastiques : "Ça m'a permis de rencontrer sincèrement d’autres personnes et de me dire que je suis pas seul”. En revanche, son compagnon de trente ans n’est pas au courant de cette part de son intimité. "Ça fait 30 ans que je vis une sorte de double-vie exactement comme Spiderman que j’aimais quand j’étais petit.”